Yolanda et moi

 Deux portraits si différents l’un de l’autre. Deux jeunes adolescents se retrouvent dans une boîte de nuit des années 1980. La musique, l’ambiance et les amis font naître chez le garçon l’envie de vivre une nuit de rêve. Et l’inattendu surgit.

Nous nous éloignons de l’avenue principale de la ville balnéaire et descendons perpendiculairement sur 200 mètres dans une rue à moitié éclairée. J’entends à peine le bruit de la circulation. Les récits de mes amis sur leurs rencontres avec des filles avides de passion me font rêver d’une soirée riche en émotions. Je me laisse porter dans une autre atmosphère, celle de la nuit rythmée par nos corps adolescents et des étoiles filantes à partager entre les amis.

Il est 22 heures et nous faisons l’immersion dans le monde fascinant des murs vibrants. Tom, le plus expérimenté, dit que c’est l’heure parfaite pour explorer le territoire et ne pas mettre longtemps à trouver un appréciable trophée. À cette époque de la vie, je rêvais de rencontrer une fille sublime, attractive et sensuelle, mais mes connaissances sur ce domaine étaient rudimentaires, voire nulles.

L’espace est minimal. Je suis impacté par les basses qu’invitent les timides comme moi à suivre le rythme. La boule suspendue au plafond, au milieu de la salle, tourne en projetant des étincelles qui scintillent sur nos visages. La lumière dansante provoque en moi des émotions fortes, d’abord une perte d’inhibition et surtout une grand désir de vivre une nuit de fantaisie.

Dans la salle, j’entends la chanson Macho Man de Village People. Sa mélodie motive Joel et Manu qui font leurs premiers pas. Ils lèvent les bras et chantent en choeur.

Tous les visages me semblent similaires, mais une silhouette attire mon attention. Elle est souriante et mes yeux s’arrêtent un instant sur elle quand soudain j’entends Greased lightning. C’est un appel, le cor de chasse qui annonce l’entrée en action et m’encourage pour charger.

Elle accepte de danser avec moi. Mes pieds suivent un rythme effréné et doucement j’ose bouger mes bras, que pour l’instant je ne savais pas comment les utiliser. De temps en temps, nos regards se croisent et je me permets de sourire, ce à quoi elle répond gracieusement.

Elle est habillée avec un pantalon blanc ajusté et une chemise céleste d’un seul ton qui éclaire son visage brun. Je perçois que ses yeux ronds et marrons, pétillants et transparents, m’invitent à lâcher prise, à laisser de côté mes rêveries et à être moi-même. Elle se contorsionne habilement et parfois tourne sur elle-même, avec naturalité. Sa spontanéité me bouleverse, moi qui pensais à faire le héros que sait jouer devant les filles. Je suis devant une beauté inattendue.

J’ose lui donner la main pour improviser une chorégraphie. Je suis hors de moi, je vais l’impressionner et je mets tous les moyens pour réussir. Mais, après un tour, je ne sais pas comment continuer et je répète deux ou trois fois le même mouvement. Elle prend maintenant l’initiative de faire trois pas à gauche, de taper dans les mains, de revenir au centre et de repartir vers la droite. Je l’accompagne avec complicité.

Le DJ prépare une nouvelle chanson, la piste de danse commence à se remplir et l’ambiance est devenue très festive. J’en profite pour lui demander son prénom. Elle ajuste ses cheveux frisés avec ses mains et je me rapproche d’elle pour bien entendre. Très proche d’elle, je sens que son parfum exhale une fragrance florale et légère. Cet arôme agréable s’harmonise parfaitement avec son style de jeune fille mûre et émancipée.

J’entends « Yolanda », un prénom peu commun, et son sourire me transporte au cinquième ciel. Je reste muet, l’air stupid, hypnotisé sous ses yeux. Elle me fait signe de continuer à danser. On entend You're The One That I Want et sur la piste, tout le monde bouge enchanté.

Je commence à suer et je l’invite à boire une boisson fraîche, ce qu’elle accepte volontiers. Elle me parle de sa musique préférée et qu’elle adore danser. Elle est dans un lycée privé, très connu, du centre-ville où elle y va avec son petit frère. Son père est agent de commerce et sa maman est femme au foyer, cependant elle fait beaucoup d’autres choses comme aider les enfants défavorisés qui ont des difficultés scolaires. Elle s’entend très bien avec sa maman. Elle voudrait étudier médecine pour devenir pédiatre et travailler pour l’épanouissement des enfants décrocheurs. Pour l’instant elle participe dans une association artistique et anime un atelier de théâtre dans un quartier défavorisé.

Écrasé par sa personnalité, j’essaye d’être à sa hauteur. Je lui réponds que je suis sportif, je joue le football et j’adore ça. Je connais tous les prénoms des joueurs de foot de chaque équipe. À l’école, mes résultats sont moyens, mais corrects et je m’amuse bien avec mes amis. En dehors du foot, rien ne m’intéresse vraiment.

Je crois que ma présentation l’a impressionnée parce qu’elle me demande si nous pouvons continuer notre conversation un autre jour.

Je ne me suis jamais senti un beau garçon, malgré mon corps athlétique, mes yeux verts, mes cheveux châtain clair et une tête de James Dean. Par contre, j’adore les belles filles, mais je ne sais comment établir une conversation avec elles. Avec Yolanda, c’était facile. Malgré sa taille, son nez crochu, sa verrue sur le visage, sa tête ronde et ses grandes oreilles, elle rayonne autour d’elle et je me sens déstabilisé. Honnêtement, elle ne représente pas la beauté que je souhaitais pour moi, mais elle a tout pour que je m’abandonne à ses pieds.

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