Apprendre une langue : une complication et une opportunité

 Il y a deux ans le monde avait arrêté toute son activité. L’étrange apparition d’un virus en Chine commençait à se propager, et partout où il est passé, les pays ont connu des mesures pour le contrôler. A l’école nous avons dû nous adapter avec des cours virtuels qui ont réduit la motivation des enseignants et des élèves. Le cas d’un élève me pose la question sur les conséquences de l’épidémie pour l’apprentissage d’une langue étrangère.

Dans une classe de 4ème, Bastien est un garçon aussi grand qu’il a des difficultés à s’assoir à son bureau, devenu trop petit pour lui. Lors d’un cours du mois de janvier il était particulièrement tranquille. La classe avait vécu de nombreuses absences liées au virus et le fait d’avoir moins d’élèves à un moment donné facilitait la concentration de ceux qui étaient présents.

Les élèves devaient faire une compréhension orale à partir d’un enregistrement sonore. Après trois écoutes, ils avaient compris en général le sujet, mais ils n’arrivaient pas à faire une compréhension plus fine du contenu. Pour les aider je leur faisais écouter chaque phrase. Ils apprenaient les expressions espagnoles pour fixer un rendez-vous, comment s’excuser ou accepter. Entre les mots à apprendre il y avait « vale ». En expliquant sa traduction, j’ai entendu Bastien dire : «  qu’est-ce que c’est compliqué » ! Mon regard s’est arrêté un instant sur lui. Voyant que dans son expression il y avait une certaine naïveté, je lui ai dit : « est-ce que chez toi, vous parlez une autre langue ? ». « Non, tout le monde parle français, mais il est compliqué l’espagnol », m’avait répondu. Dans le dialogue qui s’est suivi, j’ai compris que le vocabulaire le mettait mal à l’aise. L’espagnol devait le bousculer de sa position de confort pour essayer de s’ouvrir à une autre culture. « il me semble que tu dois faire un effort pour ouvrir un peu ton esprit ; probablement, tout le monde ne va pas parler ta langue », c’était ma conclusion avec lui.

Est-il si compliqué d’apprendre une langue étrangère et particulièrement en pandémie ? Aujourd’hui, je suis en mesure de répondre affirmativement à cette question. Outre le fait que porter le masque nous a empêché une meilleure communication et l’apprentissage de la phonétique, les écoles et lycées ont dû arrêter tout projet d’échange à l’étranger. Concernant le premier point, l’évidence nous montre qu’il ne suffit pas de dire aux élèves d’écouter attentivement un enregistrement. Dans la communication interviennent aussi les gestes du visage et la position des lèvres, entre autres.

Par rapport aux échanges culturels à l’étranger, nous avons constaté avec les professeures de langue dans une réunion, le lendemain de l’épisode avec Bastien, combien les voyages d’études motivaient les élèves à l’apprentissage de la langue.

D’autres moyens de mettre en lien les élèves étaient aussi possibles comme celui que j’ai établi ponctuellement avec une classe de 4ème aussi. Lors de la journée européenne des langues, j’avais proposé à une classe d’écrire des messages de solidarité aux habitants de l’île de La Palma, en Canaries, qui étaient touchés par l’éruption du volcan Cumbre Vieja. Grâce à l’internet, j’avais collecté tous les emails du conseil municipal. Pour sensibiliser les élèves j’avais montré les images du volcan et une interview à la maire où elle parlait de l’impuissance face au phénomène et le sentiment des voisins. Ils demandaient aux autorités de ne pas les abandonner dans telles circonstances. Cette phrase a été l’élément déclencheur du message de soutien, accompagné d’une photo de la classe. Quelques jours plus tard, j’ai eu des réponses et même, la photo et notre lettre avaient été postées sur un journal digital de La Palma. Quand j’ai montré le journal aux élèves ils étaient euphoriques, ils se sentaient importants.

C’était une initiative intéressante pour éveiller nos élèves à une solidarité ponctuelle, tout en stimulant l’apprentissage d’une langue. Désormais, nous espérons que le retour à la vie d’avant nous permette de récupérer le temps perdu pour que les jeunes comme Bastien puissent sentir que la langue n’est pas un problème sinon une possibilité de découvrir une culture différente.

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